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  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Il neigera bientôt sur Pine Ridge : Chapitre 1

Dernière mise à jour : 13 nov. 2020

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« Une grande bataille s’est tenue à Wounded Knee Creek avec les Indiens, il y a eu beaucoup de perte humaine. Big Foot qui avait déclaré être malade, décida de se rendre avec 150 de ses braves, au Major Whiteside et à la septième cavalerie. Malgré ses dires, le reste des Indiens refusèrent de rendre les armes. La cavalerie qui comptait cinq cent soldats, les encerclait et a du se resserrer sur le campement pour les avoir à porter de tir.


Soudainement les braves, ont saisit des armes cachées sous des couvertures et ont commencé à tirer à la voler sur nos troupes qui ont été prises au dépourvu. Entre quatre et cinq soldats de l’armée des Etats-Unis d’Amérique ont été tué, et plus de quarante ont été blessés, certains sont encore dans un état critique. On compte à deux cents le nombre d’indiens tués ». Extrait de The New York Herald, Edition du 31 Décembre 1890.



Ce sont les seules lignes que l’ont pu lire dans les journaux du pays, au lendemain du massacre de Wounded Knee. Quelques lignes honteuses qui minimisaient les évènements du 29 décembre 1890.


La photographie de Big Foot, amaigri, étendue dans la neige fit le tour du monde et devint le symbole de cette journée funeste.


La neige… Il y avait tellement de neige ce matin là. Pour ma part, j'étais encore loin d'imaginer l'horreur de j'allais découvrir. Je foulais les plaines sur mon cheval, bravant le froid, le vent et la neige... J'espérais arriver au plus vite à Pine Ridge... J'ignorais que le massacre avait déjà eu lieu... J'ignorais que les mensonges étaient déjà imprimés sur les journaux du pays.


Je ne pourrai jamais oublier ce que j'ai vu à Pine Ridge... Les corps, le sang sur la neige, le visage malade du chef Lakota Miniconjou... Et surtout ce silence qui enveloppait les plaines.


J'étais habité par la peur, la honte et la peine… Une peur que notre armée et notre gouvernement avaient su habilement alimenter. une honte parce que je savais pertinemment que personne n’avait rien fait pour empêcher ces exactions. Une peine parce que je porte encore aujourd'hui un récit, une parenthèse, qui restera pour toujours l’un des instants les plus importants de mon enfance.


Je me nomme Danny O’Sullivan et je vous ouvre cette parenthèse…


Tout commença le 10 juin 1876, par un été assez chaud et sec. En ce temps là, nous vivions mes parents et moi dans une petite ferme reculée à plusieurs miles de la ville de Sioux Falls dans le Dakota du Sud. Je venais de fêter mes 6 ans à la fin mai. J’entrais dans un âge où la curiosité n’a pas de limite.


Je me revois encore courir autour de la ferme pour attraper les papillons, les libellules, en m’inventant des histoires tout aussi fantasques qu’invraisemblables. Je jouissais d’une insouciance précieuse dont je ne mesurais pas la valeur et j’ignorais encore comme la vie pouvait vous la reprendre bien vite.


Mon père, Elliott O’Sullivan s’était levé très tôt ce matin là. Il venait d’acquérir une concession minière dans les Black Hills avec quelques-uns de ses camarades. Il avait scellé deux de nos meilleurs chevaux et préparé un stock conséquent de nourriture et de linges pour sa longue expédition.


Mon père était un homme grand et trapu… Un vrai gaillard comme diraient certains. Ses cheveux blonds et ses yeux verts pâles lui octroyaient une prestance que peu d’hommes pouvaient revendiquer. Il est certain que l’admiration que je portais à mon père biaisait ma perception… Mais pour être honnête, beaucoup de monde l’admirait. Il avait servi l’infanterie de l’Union durant la guerre de Sécession à tout juste dix neuf ans. Il s’était beaucoup engagé en ce temps là pour l’abolition de l’esclavage et la reconnaissance de droits communs.


Malheureusement il fut lourdement blessé durant cette guerre ce qui acheva sa carrière militaire. Mon père garda des séquelles de cette époque, une main droite tremblante et une jambe gauche un peu raide. Mais cette défaite personnelle lui permis de rencontrer ma mère, infirmière bénévole en ce temps là.


Je pourrais vous parler de ma mère pendant des heures. Margaret Beth Anne Brennan, de son nom de jeune fille, était avec mon regard d’enfant, la plus belle femme des domaines alentours. Elle laissait paraître un calme à charmer n’importe quel homme et une force qu’aurait envié n’importe quelle âme.


Ses cheveux roux, mi-long se mouvaient avec élégance sous les vents chauds des grandes plaines. Dans ses yeux émeraudes, on pouvait encore apercevoir les collines verdoyante de l’Irlande et les stèles emplies de légendes oubliées. Ma mère était arrivée en Amérique à l’âge de 10 ans. Tout comme mon père elle était ce que les gens d’ici appelaient péjorativement : une immigrante.


Mes parents avaient travaillé ardemment pour se bâtir une réputation dans la région. La ferme qu’ils possédaient, portait un nom qui rappelait les racines et les traditions de ma famille : Flanagan. Mon père l’avait eu en héritage de ses grands parents que je n’ai pas eu la chance de connaitre.


Sur cette ferme, ma mère s’occupait d’une exploitation plutôt honorable : plusieurs vaches laitières, des poules, des lapins et un jardin potager dont les récoltes étaient généreuses. Mon père, bien que diminué par ses blessures de guerres n’avait eu de cesse d’améliorer et d’agrandir la ferme par ses propres moyens. Il s’occupait de nos chevaux, mais également, de ceux de plusieurs propriétaires alentours qui venaient lui demander de les ferrer et leur prodiguer des soins.


Depuis quelques années déjà, mon père rêvait d’offrir à notre famille autre chose qu’une vie paysanne, d’autant qu’il se doutait que son corps s’affaiblirait de saisons en saisons. Mon père s’en alla donc avec ses beaux projets, par ce matin du 10 juin 1876, accompagné d’anciens camarades de l’armée en direction des Black Hills, afin de ramener de l’or.


Ils n’étaient pas les seuls à partir à la conquête de ces rocheuses et ces plaines encore vierges. Une véritable ruée vers l’or venait de naître depuis que le Général George Armstrong Custer avait affirmé en août 1874 que les Black Hills possédaient de l’or en quantité.


Mais cette terre appartenait jusque là aux tribus Sioux Lakota, qui ne cessaient de subir des déplacements incessants et des pertes de territoires, dû à l’expansion prétentieuse des Etats-Unis d’Amérique. Face à l’afflux toujours plus important de pionniers dans les Black Hills et à la passivité du gouvernement pour arrêter cette violation de territoires, les Sioux Lakota demandèrent à s’entretenir avec les chefs blancs. Aucun accord acceptables ne semblaient se dessiner et l’on commençait à craindre une nouvelle guerre.


La ferme Flanagan se trouvait à la frontière des terres Sioux. Il fut un temps, il n’était pas rare par chez nous, de voir passer les Lakotas à cheval, venant chasser sur les vastes étendues d’herbes folles. Depuis quelques saisons déjà, l’armée des Etats-Unis, très présente dans notre région, contrecarrait souvent les déplacements des Lakotas, leur ordonnant de rester sur le territoire qui leur était accordé.


Ma mère craignait pour notre sécurité durant l’absence de mon père. C'était monnaie courante dans le Dakota du Sud de subir les représailles des Sioux. En 1862, la ville voisine de Sioux Falls fut détruite dans son intégralité après de violents affrontement entre les Lakotas et les premiers pionniers de la région. Personne par ici ne put oublier ces événements tragiques… Et malheureusement ils entachèrent durablement les relations fragiles entre les Lakotas et les nouveaux arrivants.


« Margaret, promet-moi que si cela tourne mal, tu partiras t’installer en ville, à Sioux Falls avec Dany »


« C’est promis, ne t’en fais pas pour nous Elliott, nous serons prudent »


Ma mère embrassa tendrement mon père, déjà en selle, prêt pour le long voyage qui le conduirait jusqu’aux Black Hills. Nous le regardâmes s’éloigner dans la prairie avec ses camarades. Ils semblaient peu à peu disparaître dans les herbes hautes. Très vite, nous ne distinguâmes même plus leurs chapeaux de feutre, derniers accessoires que nous pouvions encore apercevoir dans le lointain.


Ma mère retroussa ses manches, resserra avec dynamisme son tablier et s’en alla sans plus tarder à l’étable pour s’occuper des bêtes. De mon point de vue, cette journée semblait pleine de promesse. Le soleil rayonnait déjà fortement, pas un nuage dans le ciel et un vent léger venait adoucir les fortes chaleurs de la saison.


Le petit Dany que j’étais en ce temps là, s’accommodait sans mal à notre vie à la ferme. J’y avais trouvé ma place et mes occupations. J’aidais ma mère du mieux que je pouvais dans les quelques tâches qu’elle m’accordait : nourrir les poules, récolter les oeufs ou encore arroser quelques plantes. Elle me donnait toujours cette impression valorisante que mon travail l’aidait grandement… Aujourd’hui avec mon regard d’adulte, je sais qu’en réalité mon rôle était bien mince.


Mes jeux d’enfant s’invitaient souvent durant mes maigres travaux. J’aimais m’imaginer grand chef ou guerrier Sioux. Je combattais vaillamment des meules de foins embrigadées malgré elles dans l’armée des Etats-Unis. Avec l’aide de mon lance-pierre, je mettais à mal leurs régiments et décrochais très souvent la victoire. De temps à autres, ces meules de foins sanguinaires me prenaient en embuscade. Je me laissais alors mourrir, en brave, au milieu des laitues et des plans d’haricots.


Je reproduisais sans trop comprendre les conflits que traversait mon pays. Je les rendais divertissant. Après tout il n’y avait pas de mal à jouer à la guerre.


Je vouais une admiration sans faille pour les Sioux Lakotas. Mon père me racontait souvent des histoires les concernant. Il avait eu la chance de les côtoyer en arrivant dans le Dakota du Sud. Il connaissait certains de leurs rites et quelques unes de leurs légendes. J’étais friand de ces récits. Mon père s’en amusait. A tel point que d’histoires en histoires, le folklore qu’il me contait s’éloignait un peu plus de la vérité les concernant. Mais je n’y prêtais pas attention… Les Lakotas restaient mes héros. Je ne les avais pourtant que rarement vu.


Pour cette première soirée sans mon père, il n’y avait pas d’histoires Sioux. Ma mère et moi avions cuisiné quelques légumes fraichement rapportés du potager pour le souper. Au moment de se mettre à table, nous avions d’abord remercié notre seigneur puis repris les conversations laissées dans les champs pendant l’après midi.


« Demain, Dany, il faudra se lever de bonne heure. Tu sais bien que la route est longue pour nous rendre à Sioux Falls »


Nous habitions à plus de sept heures de route à cheval de Sioux Falls. C’était, à cette époque, la seule ville où nous pouvions nous ravitailler. Même si, petit à petit, des villages de pionniers commençaient à naitre un peu partout à travers le Dakota grâce à l’activité de l’or, ma mère continuait à se rendre à Sioux Falls une fois par mois pour rapporter des vivres.


Par chance sa soeur, Tante Kathleen y vivait depuis plusieurs années, ce qui lui permettait toujours de passer la nuit en ville avant de faire la route inverse. J’accompagnais rarement ma mère à Sioux Falls, alors cette expédition était pour moi une aubaine. Le peu de fois où je m’y était rendu, j’avais pu y voir quelques Lakotas qui venaient commercer. J’espérais naïvement les rencontrer et peut être même devenir l’un des leurs.

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