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  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Il neigera bientôt sur Pine Ridge : Chapitre 2

Dernière mise à jour : 20 oct. 2022

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Ma mère était venue me réveiller au petit matin, avant même que le soleil n’apparaisse derrière les collines sauvages qui entouraient Flanagan, notre ferme. Ce moment furtif qui précédait le jour, lorsque les oiseaux chanteurs confondaient leurs premières mélodies avec les quelques grillons s’agitant encore dans les broussailles.


En descendant l’escalier en bois de chêne qui menait à notre pièce à vivre, je découvris sur la table, un petit déjeuner déjà préparé et encore chaud. Ma mère avait pris le temps d’aller chercher du lait frais à l’étable. Elle avait également cuisiné des oeufs brouillés au bacon, dont l’odeur réconfortante embaumée la pièce.


Tandis que je mangeais silencieusement, encore un peu ronchon de ce réveil précipité, ma mère sortit préparer notre carriole et atteler le troisième cheval de la famille. Celui que mon père n’avait pas amené aux Black Hills. S’il ne l’avait pas choisi pour son expédition, c’était parce que ce cheval était âgé et beaucoup moins fougueux qu’autrefois.


« J’espère que tu tiendras la route Albert, je compte sur toi ! Le voyage va être long » s’exclama ma mère en tapotant la croupe du cheval.


Une fois mon petit déjeuner terminé, nous primes la route sans plus attendre. Nous empruntâmes le large sentier sec et sablonneux qui conduisait à la ville de Sioux Falls. Je vis l’aurore doucement envelopper la vallée. Un ciel rosé et jaune, qui accaparait toute mon attention, rendant les plaines que nous traversions plus ternes qu’à l’accoutumé.


Au détour du chemin, nous aperçûmes un troupeau de bisons qui se reposait dans les herbes humides du petit jour. Ces bêtes imposantes commençaient à se faire rare dans la région. Les troupeaux semblaient décroitre au fur et à mesure de notre expansion. Un même destin qu’ils partageaient avec les tribus Sioux.


Des aigles tournoyaient déjà au dessus de nos têtes. Fiers et majestueux, ils étaient à l’affût des lièvres qui gambadaient aux premières heures de la matinée. Il n’y avait pas de plus beaux spectacles, pour moi, que celui de ces oiseaux chasseurs que bon nombre d'autochtones vénéraient et considéraient comme des messagers… Des dieux.


Bien entendue, cette longue route ne fût pas sans discussions. Ma mère en profita pour parfaire mon éducation. Elle m’apprenait les grandes capitales du monde, me faisait épeler des mots simples du quotidien, m'apprenait à compter et faire quelques calculs basiques. Ma mère voulait s’assurer que je sois un enfant cultivé et curieux. Elle s’inquiétait souvent de ne me voir m’intéresser qu’aux métiers de la ferme et aux histoires sur les Sioux. Elle savait qu’un jour prochain, elle devrait m’envoyer à la ville, bien loin de Flanagan pour me permettre d’aller à l’école comme tous les enfants. Elle avait déjà convenu avec tante Kathleen que je resterai à Sioux Falls dès que l’école aurait trouvé son institutrice.


Après des heures et des heures de route, nous arrivâmes en ville dans la fin d’après midi. En ce temps là, Sioux Falls était en pleine mutation. En 1862, la ville fut totalement détruite et brûlée dans des affrontements avec les Lakotas qui s’opposaient à l’affût de pionniers. Dès lors, elle devint un fort : Fort Dakota. Une base militaire qui s’ajoutait aux nombreuses autres déjà présentes dans la région. Mais depuis que le général Custer et ses hommes avaient inspecté les ressources en or du Dakota, les habitants revenaient peu à peu s’installer. C’était donc une ville nouvelle qui commençait à émerger en cet été 1876. Les maisons et les commerces fleurissaient un peu partout. Les limites de l’ancien fort étaient peu à peu abattues pour faire place à l’expansion grandissante et rapide de Sioux Falls.


Ma mère laissa notre carriole devant la maison de tante Kathleen. Elle nous attendait sur le pas de la porte avec un large sourire :


« Margaret, Dany ! Vous avez fait bonne route ? je sais comme ce trajet est long, vous devez être exténués… C’est fou comme le petit a grandi depuis la dernière fois où nous nous sommes vus »


Il est vrai que cela faisait des mois que je n’avais pas vu tante Kathleen… Mais pour moi elle n’avait pas changé. Ses cheveux roux bouclés étaient épinglés délicatement avec de nombreuses pinces qui tentaient de dompter sa tignasse. Ses joues rouges camouflaient à peine sa multitude de taches de rousseur qui envahissaient son visage… Elle portait, comme à son habitude, une robe arrogante aux couleurs chatoyantes. et élégantes. Une robe en dentelles bien trop élégante pour les rues boueuses de Sioux Falls.


Ma mère et tante Kathleen se rendirent sans plus attendre à l’épicerie pour ravitailler notre ferme. Je n’aimais guère me perdre dans les rayonnages ennuyeux des commerces de la ville. Les deux femmes m’autorisèrent donc à les attendre dehors en me faisant promettre de ne pas m’éloigner. Au milieu du brouhaha de Sioux Falls, dans cette ville où tout semblait aller si vite, où les gens étaient pressés et peu aimable, je ne cherchais qu’une seule chose. Ce pourquoi j’avais fait ce long voyage : apercevoir et approcher les Lakotas.


Ne tenant pas pleinement ma promesse, je m’éloignais de plus en plus de l’épicerie, m’engageant dans des rues qui m’étaient inconnues, parfois hostiles. Des pans entiers de la ville étaient dédiés aux bars et aux jeux en tout genre. Les hommes alcoolisés se battaient devant les saloons. Des coups de feu se perdaient dans l’indifférence la plus totale. En tournant dans une rue visiblement plus commerçante, j’aperçu quelques Sioux qui tentaient de proposer leurs créations aux marchands en échange de sommes dérisoires.


Certaines tribus Lakotas, celle qui vivaient encore en dehors du territoire attitré des Black Hills, commençaient à voir leurs ressources disparaître. Les bisons se faisaient de plus en plus rare, la chasse n’était plus aussi fructueuse, les maladies et les affrontements incessants avec l’armée, avaient rendu leur pérennité fragile.


Commercer avec les ‘’blancs’’ était pour eux une solution afin d’assurer la survie des leurs. Mais à Sioux Falls, les Indiens n’était plus les bienvenues depuis les événements tragiques qu’avait traversé la ville. Les commerçants préféraient les chasser et l’armée très présente dans les rues, suivait leur déplacement à l’affût du moindre débordement.


L’un des Sioux attira grandement mon attention. Il semblait plus charismatique que les autres. Il me paraissait immense. Son regard aigu et sombre dominaient l’avenue. Il y avait une vérité dans ses yeux, une sincérité que je n'avais encore jamais vu dans aucun regard. Il ne se cachait pas derrière des apparences et des manières. Il assumait sa froideur, il la revendiquait... Ses mains charnues, ses bras musclés dont le soleil éclairé chaque contour, son torse dénudé sur lequel se posait ses cheveux ébènes tressés, son pantalon en peau de daim, furent quelques caractéristiques qui me frappèrent chez cet homme captivant.


Voyant mon regard béat, il s’approcha de moi tout en conservant son air austère et grave. Durant plusieurs minutes, nous restâmes immobile, à nous regarder, lui avec solennité, moi avec admiration. Etrangement sa posture ne m'effrayait pas... Je ne ressentais que de l'admiration. C’était la première fois que j’approchais un Sioux d’aussi près. J’avais l’impression de réaliser mon plus grand rêve d’enfant. Je voulais lui communiquer toutes les passions qui m’animaient mais aucun mot ne sortait de ma bouche.


L’homme Sioux me tendit la main. Une main forte et déterminé. Après une poignée amicale et un sourire esquissé, il fouilla, toujours silencieux, dans la petite besace qui était nouée à la ceinture de son pantalon. Il en sortit un petit totem en bois représentant un loup à la course.


« C’est pour toi petit ! Ce loup est un guide. Il m'a montré de nombreuses fois le chemin».


J’eu à peine le temps de m’extasier devant son présent qu’une agitation au bout de la rue attira notre attention. Le Lakota s’enfonça dans la foule d’un pas assuré avec quelques-uns de ses camarades.


Un bon nombre d’habitants de Sioux Falls se pressaient vers un stand en bois surmonté d'une petite estrade où trônaient fièrement plusieurs drapeaux des Etats-Unis. Je ne tarda pas à emboîter le pas. Sans trop de gêne, je me frayai un chemin parmi les curieux. Mais la vue m’était toujours cachée par les chapeaux haut de forme de certains hommes. Je tentais sur ma pointe des pieds d’apercevoir un peu mieux l’estrade et ce qui s’y déroulait.


Trois hommes, visiblement très embourgeoisés, se tenaient sur cette scène en bois. Ils portaient des costumes trois pièces, des noeuds de cravate bien serrés, des chaussures cirées et s’appuyaient tous les trois sur des cannes qui confirmaient l’importance de leur rang.


« Bonjour chères Mesdames, chers Messieurs. Nous sommes ici aujourd’hui dans votre adorable mais néanmoins expansive ville de Sioux Falls pour vous annoncer une grande nouvelle… »


Le premier homme qui avait pris la parole se tût comme pour faire durer le suspens, tandis qu’un autre s’avança avec enthousiasme pour continuer le discours.


« La ligne de chemin de fer va arriver chez vous ! »


Des applaudissement se firent entendre parmi la foule amassait autour de l’estrade. Ces hommes travaillaient pour la ligne Illinois Central Railroad qui avait eu comme projet fou dès 1867 de relier Chicago à la Nouvelle-Orléans. Depuis quelques années, une seconde ligne, plus au nord, était venue s’ajouter à leur compagnie, traversant l’Iowa et promettant désormais d’entrer dans les terres du Dakota.


Les trois promoteurs du chemin de fer, face à l’engouement positif des habitants de Sioux Falls commencèrent à présenter des cartes du futur tracé ainsi que des plans de la gare. Ils s’autorisèrent une part de confession sur leurs développements futurs, n’excluant pas d’agrandir la ligne jusqu’aux Black Hills où l’activité minière était en pleine essor.


Il n’en fallu pas plus pour que le Sioux qui m’avait donné son totem, s’extirpent de la foule et apostrophe les trois hommes.


« Jusqu’à quand allez-vous piétiner nos terres avec votre arrogance ? » interrogea t-il avec colère.


Le visage fermé, les dents serrées, il regardait les promoteurs avec haine. Il n’avait que faire des gesticulations de la foule qui le huée, il restait digne et déterminé… J’étais en admiration devant sa témérité.


« A qui ai-je l’honneur ? » répondit l’un des hommes d’une voix tremblotante, vexé que cet élan de ferveur soit parasité par un perturbateur.


« Je m’appelle Chankoowashtay, guerrier Lakota Oglala, je suis les ordres de mon chef et mon guide Tashunca-Uitco ».


Le nom que Chankoowashtay mentionnait fit mouche parmi la foule, mais les trois promoteurs ignorait l’importance et la suprématie de ce chef. Tashunca-Uitco (qui signifiait : Celui dont les chevaux ont le feu sacré) était un grand combattant. Il avait livré plusieurs batailles dans les plaines contre les forts de l’armée et l’arrivée massive des blancs sur les terres Sioux. Pour les Américains, il était plus connu sous le nom de Crazy Horse.


« L’arrivée de vos trains va perturber les déplacements de bisons qui viennent jusqu’aux terres Sioux. Ils sont déjà de moins en moins nombreux à venir jusque sur le territoire accordé par votre gouvernement. Nous n’avons plus le droit de sortir de ces terres pour les chasser. Si le train arrive, les bisons disparaitront ». Ajouta Chankoowashtay.


Les promoteurs se mirent à rire. Ils se sentaient bien supérieurs sur leur estrade et la foule de Sioux Falls était de leur côté.


« Ecoutez moi bien l’Indien, je n’ai que faire de vos problèmes de ‘’peaux rouges’’. Notre gouvernement vous nourrit et vous offre même des réserves un peu partout dans le Dakota. Les Terres dont vous parlez ne vous appartiennent plus et le progrès s’y installe».


« Justement, ces terres nous ont été volé à la déloyale. Nous ne voulons pas de la piste des voleurs dans les Black Hills. ces hommes qui ne vivent que pour l’or sont arrivés à cause du Général Long Cheveux. L’armée ne fait rien pour arrêter ces intrusions… Elle est même complice de ces violations. Mon peuple avait re-signé un accord avec le Général Sherman à Fort Laramie. Il nous garantissait que les Black Hills ne seraient plus envahies ». Rétorqua Chankoowashtay pour faire taire l’arrogance de ces promoteurs.


Caché au milieu de cette foule braillarde et inaudible, je ne pu m’empêcher de ressentir de la honte. Mon propre père faisait parti de ces hommes que Chankoowashtay dénonçait. Il avait cédé à l’appel de l’or, comme beaucoup d’autre, depuis que le Général George Armstrong Custer (long cheveux) avait confirmé la présence de ce métal précieux dans les rocheuses.


Les trois promoteurs continuèrent de rires, tout en se gargarisant de la méchanceté pesante de la foule envers le groupe de Lakotas.


« Mais de quoi me parles-tu l’Indien ? Tes problèmes ne me concernent pas. Si tu es mécontent des accords du gouvernement des Etats-Unis, je te conseille de te rendre à Washington. Nous ne sommes là que pour amener le train par ici. Le devenir des Sioux m’importe peu ».


Chankoowashtay, ne supportant plus cette arrogance permanente, sortit son tomahawk et le pointa en direction du dernier homme à avoir pris la parole. Il avait beau être à son avantage sur son estrade, avec ses beaux vêtements, son verbe sûr et sa cocarde au couleur de notre Pays, il paraissait bien petit et lâche face à la colère de plus plus incontrôlée du guerrier Sioux.


Même si la foule commençait à s’agiter et qu’il m’était de plus en plus difficile d’apercevoir la scène, je distinguais encore les jambes flageolantes des trois promoteurs qui perdaient visiblement leur aplomb. L’un des Lakotas qui accompagnait Chankoowashtay tenta de calmer sa hargne. Plusieurs hommes s’extirpèrent de la foule avec des armes, prêt à en découdre avec les Sioux.


« Vous feriez mieux de déguerpir avant de vous prendre une balle dans la tête ! »


L’un des promoteurs du chemin de fer, finalement rassuré par les hommes armées qui encerclaient les Indiens, pris une dernière fois la parole.


« Profitez-en pour chasser vos derniers bisons, avant que le train n’arrive ! »


Chankoowashtay et les siens n’eurent d’autre choix que de se retirer et quitter la ville. Mais avant de partir, le guerrier Sioux, qui a aucun moment n’avait perdu de sa prestance, apostropha les habitants de Sioux Falls.


« Vous venez de nous déclarer la guerre ! Alors nous n’hésiterons pas à la faire ! »


Une fois les Indiens partis, la foule commença peu à peu à s’éparpiller dans les différentes ruelles. Les promoteurs, quant à eux, en profitèrent pour aller boire un verre au Saloon qui faisait face à l’estrade, afin de se remettre de leurs émotions.


Au bout de quelques minutes, une fois que l’avenue retrouva son calme, je vis ma mère arriver avec tante Kathleen. Elles semblaient assez fâchées que je me soit autant éloigné de l’épicerie. Je sais que leurs remontrances étaient justifiées mais je n’en tenais pas compte. J’avais la tête ailleurs. Je venais de voir le plus courageux des Lakotas. Toutes mes pensées étaient tournées vers Chankoowashtay.


Nous restâmes comme convenu chez Tante Kathleen pour la nuit. Lorsque le soleil se coucha sur Sioux Falls, Oncle Rodger rentra à la maison. Il accrocha soigneusement son veston et son chapeau sur le porte manteau de l’entrée, traversa le long couloir parsemés de photographies, de peintures et de diplômes. Il arriva dans le salon et tapota avec distance la tête de son fils, mon cousin Samuel, qui jouait avec moi. Puis, il salua les deux femmes qui préparaient la table pour le souper.


La maison de tante Kathleen et Oncle Rodger me semblait être un château lorsque j’étais petit. Elle était vaste, spacieuse et meublée avec goût. Les sols étaient recouvert d’une moquette bordeaux épaisse et douce et les murs tapissés de motifs floraux qui rendaient cet intérieur plus distingués que la ferme Flanagan.


Oncle Rodger était une personnalité importante à Sioux Falls puisqu’il travaillait à la banque. C’était un homme très grand et fin. Ses cheveux bruns était toujours impeccablement plaqués vers l’arrière et il portait une large barbe brune soigneusement taillée. On remarquait aisément qu’Oncle Rodger était un homme socialement installé juste avec ses manières et sa prestance. Son salaire permettait à tante Kathleen de rester à la maison et de s’occuper de l’éducation de Samuel.


Mon cousin Samuel avait à peu près le même âge que moi. Il était un peu rondouillard. Ses joues me faisaient penser à deux grosses pommes. Il avait hérité des tâches de rousseurs et des cheveux roux hirsutes de Tante Kathleen. Même si nous trouvions toujours des jeux à faire ensemble, nous étions deux enfants très différents. Samuel était un enfant de la ville, plus dynamique, impatient et râleur. Tandis que moi, je rêvassais souvent, toujours calme et inventif.


Lorsque nous nous installâmes tous à table, Oncle Rodger, ne pu s’empêcher de parler de l’arrivée du chemin de fer. « C’est une grande nouvelle ! Quelque chose d’exceptionnelle qui va révolutionner notre ville ! »


Oncle Rodger était se genre d’homme qui pensait que parce qu’il était un homme, sa parole avait plus de valeur et méritait d’être entendue. Il avait un avis sur tout et sentait toujours le besoin de l’exprimer. Même si ce qui sortait de sa bouche était souvent des inepties et des points de vues inexacts et erronés. Mais parce qu’il était un homme installé, sa parole était forcément de qualité. A dire vrai, ce repas n’était en réalité qu’un long monologue de mon oncle auquel ma tante et ma mère n’avaient que le droit d’acquiescer.


« Maintenant, j’espère que les Indiens vont partir une bonne fois pour toute ! le gouvernement a ouvert la grande réserve Sioux, il est temps qu’ils aillent tous là bas. Ils ne se mêleront jamais à notre société. Le gouvernement veut les éduquer mais si vous voulez mon avis, ça sera un échec… En tout cas, ce n’est plus qu’une question de temps pour qu’ils soient également chassé des Black Hills »


Tandis qu’Oncle Rodger continuait de déblatérer ses opinions douteuses, mais hélas si fréquente dans la région, je délaissais mon assiette trop généreuse pour regarder discrètement sous la table, le loup en bois que Chankoowashtay m’avait offert. Samuel ne tarda pas à remarquer l’objet que je trifouillais et le retira sèchement de mes mains.


« Regarde Papa ! Dany a un loup en bois fait par des peaux rouges ! » cria t-il en courant dans la pièce avec mon totem. Je tentais tant bien que mal de freiner sa course. Samuel menaça de jeter la sculpture dans la grande cheminée qui trônait dans le salon. Je tentais de le résonner. Mais il était trop fier d’attirer pour une fois l’attention de son père, n’avait qui le délaissait si souvent. Ma mère, mal à l’aise, restait silencieuse et Tante Kathleen se contentait de noyer son regard dans son assiette.


Sans trop réfléchir, je me jetai sur Samuel pour récupérer mon totem et une bagarre enfantine s’en suivit. Dès cet instant, Oncle Rodger se leva et intervint. Il nous sépara avec poigne mais au milieu de nos quelques coups, j’avais pu récupérer mon loup.


« Voilà exactement le côté néfaste de la présence des Sioux dans nos sociétés. Ces gens nous rendent violents et impulsifs ! » cria Oncle Rodger en m’accablant.


Il se tourna vers ma mère : « Margaret ! Elliott et toi, vous avez trop raconté d’histoires d’Indiens à Dany ! Et tu sais que c’est néfaste pour son éducation ! »


Elle resta silencieuse et ne prit pas ma défense. Tante Kathleen quant à elle ne fit que des hochements de tête pour valider la parole éclairée de son époux. Je n’étais pas en colère après ma mère… Je voyais sans difficulté, dans son regard, qu’elle n’avait que faire des principes et conseils d’Oncle Rodger.


L’heure du coucher arriva vite après cette dispute. Il se faisait tard et nous voulions dormir afin de reprendre la route dès le petit jour. Tandis que Tante Kathleen, son époux et Samuel, dormaient à l’étage, ma mère et moi avions une petite chambre à disposition au fond du couloir, au rez de chaussé.


Elle était exiguë et plus froide que les autres pièces de la maison. Elle servait surtout à entreposer des affaires inutiles ou oubliées. Le lit de cette chambre, me paressait immense et haut. Une fois dedans, on s’enfonçait dans le matelas, ce qui m’amusait beaucoup parce que nos lits à la ferme Flanagan était beaucoup plus rudimentaire.


Tandis que ma mère enfilait sa chemise de nuit derrière un paravent, j’étais toujours en admiration devant la sculpture de Chankoowashtay. Mon regard se tournait de temps à autre vers la lune. Elle était claire et ronde ce soir là. Elle brillait si fort qu’elle occultait toutes les étoiles. Je pensais à mon père, seul avec ses camarades dans les Black Hills… Allait-il bien ? Etait-il en sécurité ?… Je m’inquiétais pour lui. Je ne pouvais m’enlever les derniers mots de Chankoowashtay de la tête : « Vous venez de nous déclarer la guerre ! Alors nous n’hésiterons pas à la faire ! »

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