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  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

La caresse de la Sorgin (Chronique #152)


26 Août 2018,

L'été touche à sa fin. Voilà un mois que je suis dans mes vallées et pourtant cette question reviens sans cesse : Suis-je bien à ma place sur cette terre de légendes ? Après une longue journée en forêt sur le chemin des Sorcières, je décide de faire une halte au bord d'un ruisseau. J'y apprends le secret des plantes que les Sorginak (traduction du basque : les faiseuses de sorts) cueillaient dans ces bois. J'observe les chouettes-chevêches qui dorment dans les chênes et les vautours qui survolent les montagnes.  Je monte ma tente et sème des bougies le long de mon chemin. L'heure est la méditation. Pendant que la nuit tombe, j'écoute ma nature profonde. Je veux la comprendre. La nuit va être belle, pleine de surprises... J'attends mes réponses... J'attends les sorcières...

Je suis toujours dans la forêt. Toujours là quelque part entre Sare et Zugarramurdi. Toujours au bord de l’eau, près de la cascade, sous les branches câlines.  J’ignore l’heure qu’il est. La forêt qui m’entoure s’est effacée. Elle a laissé place à l’obscurité et au mystère. J’y entends les grands-ducs qui chassent, les renards qui traversent les bruyères et les grillons qui s’égosillent près du ruisseau. Je me laisse bercer par la lumière des bougies qui éclairent mon chemin… J’espère une réponse…  J’ignore l’heure qu’il est. Je suis vraisemblablement endormi. Les bougies ont perdu de leur splendeur. Les voilà timides et vacillantes. Au bord de la cascade, j’entends un chant. Beaucoup auraient pris peur. Mais à dire vrai, cette voix douce me rassure et m’apaise. Sans sortir de ma tente, je tends l’oreille et j’écoute.  Cette mélodie, fragile et intemporelle semble être une part de la réponse que j'espérais. Je me saisis d’une des bougies puis m’avance au bord de l’eau. Mon coeur bat la chamade et mes mains tremblent.


Malgré la pénombre, elle m’apparait sous la lueur d'une simple bougie, la Sorgin, la jeteuse de sorts. Je ne pourrais pas lui donner d’âge. Elle est à la fois, la soeur, la mère et la fille. Elle est toutes ces femmes qui peuplaient nos vallées et transmettaient leur savoir. Elle est Mari, la déesse de la terre et Amalur, la déesse mère tout à la fois.  Elle porte en elle une si grande énergie, qu’il m’est impossible de retenir mes larmes dans ma fatigue. Elle est venue à moi par le chant le plus modeste et se tient désormais dans ce bois en Majesté. L’eau semble changer de route à ses pieds. Sur sa longue robe émeraude s’entremêlent les symboles de nos stèles oubliées. Elle s’étend jusque dans l’obscure forêt, devenant à la fois, lichens, herbes, ronces et troncs imposant. J’ignore quel nom lui donner. C’est peut être pour cela qu’elle est si importante. Je sens sa main se poser sur ma joue égarée. Une main froide comme le secret des pierres et humide comme un matin de rosée. J’entends son long murmure à travers les cimes sans qu’à aucun moment elle ne fasse bouger ses lèvres : « Ne fuis pas le loup si c’est pour te retrouver face à un ours… » J’ignore l’heure qu’il est… Je viens de me réveiller en sursaut dans ma tente. Les bougies sont mortes et l’aube commence à poindre à travers les branchages. Je n’explique pas vraiment ce qu’il vient de se produire. Je me sens serein, à ma place… La forêt des sorcières vient de m’offrir sa réponse. Elle vient de réveiller quelque chose en moi.  

En quittant le bois, mon paquetage sur le dos, je redécouvre ce chemin de pierre où mon coeur s’anime. Les chouettes chevêches y chantent encore et me montrent la voie vers le village. Le brouillard lave les pieds de la montagne et offre à ma vallée un parfum d’irréel. Je pensais rejoindre le village sereinement mais il m’est réapparu… Après tout ce temps… Le loup. Ce loup qui brûle en moi et m’annonce avec gravité que je ne suis plus sur la bonne route… 


*Sorgin (Singulier) - Sorginak (Pluriel) : La traduction du basque vers le français du mot Sorgin est incomprise, peut-être même erronée en raison des légendes et des mythes sur les Sorcières. Nous y décelons deux traductions possibles... A vous de choisir celle qui vous conviendra le mieux :

la première est la compression de Sortze-gin signifiant Sage-femme voir guérisseuse.

la seconde est la compression de Zorte-gin signifiant littéralement "agir sur les sorts" que l'on a finis par transposer en : Faiseuse de sorts.

La terminaison en "AK" appuie le pluriel du mot uniquement en langue basque française : Une Sorgin : une sage-femme ou une faiseuse de sorts / Des Sorginak : des sages-femmes ou des faiseuses de sorts.

Avec le temps, les contes populaires et les légendes, les Sorginak sont devenues simplement des Sorcières.  

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