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  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

La grotte aux Sorcières (Chronique #178)


15 Mars 2019,

J'ai l'impression que le temps m'échappe dans les vallées, dans les bois et les grottes. Je voulais revenir ici avant de partir... Ici, dans la grotte aux Sorcières... Autour de l'Akelarre (1) où nous avons dansé. Je suis seul le long du ruisseau des enfers, seul dans la grotte et les forêts environnantes... Pourtant je sens leur présence, je perçois encore la bienveillance des Sorginak qui hantent ces lieux. J'ai la sensation de laisser bien trop de choses derrière moi... J'aimerais encore que l'on me raconte des histoires, j'aimerais encore pouvoir me perdre dans la vallée... Mais le temps file et nous ne pouvons plus jouer avec lui... Il ne reste que quelques instants pour nous dire au revoir...



Il fallait que je revienne ici...

Dans la grotte aux sorcières, celle où s’achève le long chemin de pierre.

Me voilà seul sous sa voute imposante, parmi les pierres de l’Akelarre (1) que les Sorginak vénéraient. Je les caresse, j’y pose mes mains écrivaines, mes mains amoureuses… Pourquoi les pierres sont si froides ? Pourquoi gardent-elles les secrets des danses qui avaient lieux ici ?…


Il fallait que je revienne ici...

Dans la grotte aux sorcières, où nait ce doux ruisseau qui file dans la forêt.

Me voilà seul au bord de l’eau, j’écoute son chant lyrique qui résonne sous cette cathédrale. Mes doigts artistes jouent avec les courants et les cascades… Pourquoi cette eau est si fraîche ? Pourquoi ne chantent-elles plus l’histoire des nuits au flambeau qui se déroulaient ici ?

La triste histoire de Zugarramurdi et de cette grotte commença avec le vent de panique qui agita le Pays Basque voisin (coté français) lorsque Pierre De Lancre et l’Eglise de France accusèrent les femmes basques de Sorcellerie. Des procès, des accusations et des buchés commencèrent à se répandre dans tous les villages.

A Zugarramurdi, la jeune Maria de Ximildegui, alors âgée de 20 ans (dont une partie de la famille vivait côté français), demanda à des prêtres de la province de Navarre de sauver son âme. Elle commença à raconter les rites et les Sabbats qui se déroulaient dans la grotte de Zugarramurdi. Elle désigna et accusa plusieurs habitants de sorcellerie. Elle raconta avoir dansé avec le diable et que certains de ces habitants avaient le pouvoir de vie ou de mort sur les plus vulnérables (les enfants et les vieillards). Maria raconta que certains sorciers pillaient les cimetières, se nourrissaient dans les tombes. Elle confia les déviances auxquelles elle avait assistées : des amours entre femmes ou entre hommes. Maria de Ximildegui voulait se repentir, redevenir une bonne chrétienne et cesser d’être une sorcière.

Dans un premier temps, les habitants de Zugarramurdi tentèrent de gérer les problèmes du village avec calme. Après quelques dénonciations, ils décidèrent d’interdir les rassemblement dans les grottes pour calmer les esprits. Malheureusement, l’église ne voulut pas en rester là… Elle alerta l’Inquisition Espagnole de Logroño dont dépendait (à l’époque) Zugarramurdi.

Si dans le Pays Basque français, la figure funeste des procès en Sorcellerie est incarné par Pierre De Lancre, côté espagnol, c’est à Alfonso de Salazar y Frias que revint la lourde tâche de donner les sentences. Dès 1610, les arrestations se multiplièrent : hommes, femmes, enfants, religieux… Plus de 300 personnes furent arrêtées en Navarre pour Sorcellerie. Une trentaine d’habitants de Zugarramurdi seront au banc des accusés (Ce qui fait beaucoup de monde car à l’époque ce village était peu peuplé). Zugarramurdi devint donc durant cette inquisition : le village des Sorcières.


Après plusieurs procès et condamnations au bucher, Alfonso de Salazar y Frias commença sérieusement à douter des accusations répétées des gens des villages alentours. Il y découvrit surtout des querelles de voisinages, des jalousies, des vengeances… Salazar se retira donc des procès pour, dit-il, sauver son honneur. Il restera tout de même pour l’Histoire, l’inquisiteur le plus impitoyable du Pays Basque espagnol.

Le plus triste dans cette épisode qui marqua tragiquement le destin de Zugarramurdi et de ses grottes, c’est que nous y avons perdu un bout de notre Histoire. Nous avons perdu les connaissances d’herboristes des Sorginak ou encore leur savoir sur les pierres. Nous ignorons même encore aujourd’hui pourquoi ses gens venaient danser dans la grotte… Quels dieux ils vénéraient au point de froisser l’Eglise. Une part de cet héritage est partie en poussière.

Tous les témoignages farfelus que l’ont peut lire au musée des Sorcières de Zugarramurdi : les danses avec le diable, le cannibalisme, les malédictions sur les enfants, les maladies sur les récoltes et les habitants… Tout ceci n’a aucune valeur… Ces récits improbables ont effacé la véritable histoire, les véritables danses, le véritable message des Sorginak et des Akelarre.

Il fallait que je revienne ici.

Dans la grotte aux sorcières, celle où s’achève le long chemin de pierre.

Même s’il ne reste que peu de chose, peu de dieux, j’ai récolté, de ci de là, les miettes d’héritage que les Sorcières ont semées. Je ne comprends pas tous les murmurent qui s’égarent dans les dédales de cette grotte. Pourtant j’arrive à ressentir la puissance de cet Akelarre… De cette cathédrale de roches et de lierres.

Il fallait que je revienne ici.

Au moins pour dire merci… Merci et au revoir.

Je suis seul, prêt pour un nouveau voyage.

C’est au Sorginak que je dois mes mains écrivaines, mes contes et mes légendes.

Elles m’ont accompagné sur le chemin de pierre, dans les grottes, sur les montagnes… Elle m’ont laissé admirer les stèles et les chardons rois, les colères océane et les envolées nocturnes des chouettes.


Aitatxi (2) et Amatxi (3) m’avaient déconseillé de suivre les Sorginak. Pourtant, ma vie et mon oeuvre n’ont été qu’une longue quête pour arriver jusqu’à elles. Aujourd’hui, je suis là, seul… Et pourtant elles dansent partout… Dans ma tête et dans mon coeur… J’entends le Txistu (4) et la Txalaparta (5)… J’entends les rires et les chants. Je bois l’eau qui ruisselle sur les stalactites et je trempe mes pieds dans les ruisseaux glacés qui repartent dans la vallée.

je dois partir. Désormais, je connais l’Histoire des Sorcières… Je connais nos dieux, l’importance et la signification du lauburu (6)… Je sais écouter les voix dans la vallée, j’ai mon propre Akelarre (1) et je m’aventure dans les mondes invisibles.

Suis-je un peu Sorgin ? Où suis-je juste un artiste pas mal frappé ?… Peu importe… Me voilà à la fin d’une histoire… A la fin d’un cycle… Je quitte la grotte aux Sorcières et le chemin de pierre… Je ressens déjà de la tristesse. Celle qui envahit votre être lorsque vous avez laissé l’amour d’une mère derrière vous.


Lexique :


(1) Akelarre : lieu de rassemblement des Sorginak (Sorcières-Sorciers) au Pays Basque. Les Akelarre sont généralement des grottes, des sommets de montagnes ou des des cercles de pierres. L'Akelarre le plus célèbre du Pays Basque reste la grotte de Zugarramurdi. L'église considèrera ses rassemblements comme satanique. En réalité, les Akelarre viennent de croyances anciennes et célèbrent des dieux pré-chrétiens.


(2) Aitatxi : Grand-père en langue basque


(3) Amatxi : Grand-mère en langue basque


(4) Txistu : une sorte de de flûte


(5) Txalaparta : percussion basque entièrement en bois proche du xylophone.


(6) Lauburu : La croix basque symbolisant la rotation de la vie et ses éléments.


Les victimes des procès en Sorcellerie de Zugarramurdi en 1610 :


5 personnes seront brûlés vives sur la place de Logroño :

Maria Baztan de La Borda, 68 ans

Graciana Xarra, 66 ans

Maria de Echachute, 54 ans

Domingo de Subildegui, 50 ans

Petri de Juangorena, 36 ans


5 autres seront brûlés en effigie car morte sous la torture ou de longue maladie en prison :

Maria de Echalecu, 40 ans

Estefania de Petrisancena

Juanes de Echegui, 68 ans

Juanes de Odia y Berechea, 60 ans

Maria de Zozaya y Arramendi, 80 ans, protectrice des Sorginak


8 trouveront la mort dans la prison de Logroño et seront rebaptisés par l’Eglise (réconcilié en effigie) pour sauver leurs âmes :

Miguel de Goiburu, 66 ans, Le Roi de l’Akelarre des grottes

Graciana de Berrenechea , 85 ans, Reine de l’Akelarre des grottes

Estevania de Navarcorena, 83 ans

Maria Pèrez de Barrenechea, 46 ans

Maria Yriarte, 40 ans

Estevania de Yriarte, 36 ans

Martin Vizcar, 85 ans

Mari Juanito, 60 ans


4 personnes seront rebaptisées par l’Eglise mais condamné à la prison à perpétuité :

Maria de Arburu, 70 ans, deuxième Reine de l’Akelarre.

Juanes de Goiburu, 37 ans, Tambour de l’Akelarre.

Maria Prenosa, 75 ans

Maria de Echegui, 40 ans


7 personnes seront rebaptisées par l’Eglise et exilé de la Navarre.

Juana de Telechea, 38 ans

Maria de Jaureteguia, 22 ans

Le frère Pedro de Arburu, 43 ans

Le Seigneur Juan de la Borda y Arburu, 34 ans

Juanes de Lambert, 27 ans

Beltrana de la Fargua, 40 ans

Juanes de Yribarren, 40 ans

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2 Yorum


Julien Gaüzère Auteur
Julien Gaüzère Auteur
31 Mar 2019

Merci d'être toujours aussi fidèle à mes aventures :)

Beğen

Annemarie Piccini
Annemarie Piccini
30 Mar 2019

Sublime récit très prenant merci vous êtes formidable félicitations 😘👍👏

Beğen
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