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  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Le vide (Chronique #143)



10 Juillet 2018,

C'est difficile de revenir dans un univers que l'on a quitté. De retrouver les gens que l'on avait laissé derrière soi. Je suis rentré avec tant d'histoires et de souvenirs du Québec... Pourtant je ne trouve ici personne prêt à les écouter. Les forêts s'effacent, les cascades se taisent, les oiseaux s'envolent et peu à peu le vide s'installe dans mon coeur... Certains de mes récits s'affaiblissent dans les méandres de cette ville que je hais autant qu'elle m'est indissociable. Je suis elle, elle est moi... Et je cherche par tous les moyens de m'enfuir... Et si revenir était une erreur ?...

Il y a des sentiments que l’on découvre tard dans une vie. J’ai déjà ressenti l’absence ou le manque mais je n’avais jamais ressenti le vide.  A peine descendu de l’avion… A peine de retour en France, il s’est empressé de se coller à moi, le vide. Il m’a serré dans ses bras comme pour me souhaiter la bienvenue.  Je n’avais jamais été confronté à son ambiguïté.  Le vide est sournois, il aime vous envelopper de bonheur et d’amour sans que vous puissiez en offrir en retour ou même en partager. Tout le monde est si content de me revoir, de me retrouver… Je tente de masquer mon amertume. Pourtant , je le vois, au fond du jardin… Le vide qui se rit de moi.  Il m’a aidé à défaire ma valise… Le vide. Je pensais que dans mes bagages j’avais ramené des trésors. Le vide s’est chargé d’en faire des souvenirs à poussière. Autour de moi, peu de gens semblent s’intéresser au Québec qui s’est encré à mon coeur. Peu de gens prêtent attention à mes histoires et à mes rencontres. J’ai la sensation d’être nul part… Ni ici, ni là bas. J’ai la sensation d’être le vide.  Le vide m’étreint dans cette chambre d’enfant que j’avais quitté depuis bien longtemps. Il me montre mes anciennes passions, mes babioles sans intérêts… Un Mickey Mouse décousu, un château de contes en plastique, des figurines de films démodés. Je ne trouve pas le sommeil, je manque d’air au milieu de ces souvenirs que je ne veux plus porter.   Plus j’étouffe, plus le vide jubile… J’ai le goût de hurler, de cogner contre les murs, de briser ces jouets de porcelaine qui agressent mon regard. Je cherche désespérément la forêt… Le chant des huards, les sentiers Latuquois… Je me cache dans le peu de souvenir que je sens encore à ma portée. Mais le vide s’installe peu à peu dans les moindres recoins… Me laissant pour seule forêt, celle tatoué à mon bras.  Le vide me suit… Dans les rues de cette ville que j’haïs tant. Il s’amuse de me voir suffoquer dans les centres commerciaux ou au volant sur des rocades à trois voies. J’ai pourtant arpenté tant de fois ces lieux… Je pensais retrouver leur fraicheur mais aujourd’hui j’ai l’impression de les traverser tel un fantôme. Je ne ressens rien à leur contact, ni nostalgie, ni souvenirs… Le vide.  Je retrouve les français parisiens si égoïstes, stressés et malpolis. Ici il n’y a pas de sourire, les regards sont aussi glacials qu’un hiver à La Tuque et pourtant j’en récoltais plus de chaleur. Les parisiens s’énervent, se bousculent, s’insultent… Ici tout le monde cours… Il faut aller vite, il faut consommer, jeter, dépenser et recommencer. J’ai besoin de m’assoir au bord d’un lac, au pied d’une cascade… J’ai besoin de fuir la foule, mais en dehors du troupeau… Le vide me guette. Loin des foules, le silence est pesant. Ici les oiseaux ne chantent pas. Les écureuils ne vous observent pas depuis les arbres… il n’y a pas d’arbres… Je m’égare dans les quelques champs qui survivent à l'urbanisation prétentieuse. Je laisse l’herbe sèche de juillet se glisser dans mes souliers. Ici tout est plat, il n’y a pas d’horizon, pas de relief. L’ennui est un paysage et le vide une architecture. Je me sens seul. J’ai besoin de faire revivre le Québec dans mes récits. Les gens les entendent mais personne ne les écoutent. Il est bien plus important de discuter des boutiques parisiennes, de la dernière attraction de Disneyland ou de parler culture avec arrogance comme si nous en avions le monopole. Tout le monde semble faire « comme si » je n’étais jamais parti. Mais je ne peux pas renier ce voyage… Il est en moi, je le porte, je le ressens encore. Il m’a changé, transformé. Le vide s’est glissé dans les personnes que j’aimais le plus.  

Cela fait à peine 48 heures que j’ai atterri… et je me demande déjà ce qu’il m’a poussé à monter dans cet avion… Ce soir, à l’abri des regards qui ne me comprennent plus, je pleure… Je peux enfin crier, hurler dans les champs isolés. Jamais je n’aurais cru me sentir aussi étranger dans ma propre maison, étranger au contact de mes plus grands amis… Je voudrais chasser le vide mais j’ai hélas bien peur qu’il ne soit devenu mon seul amant sur cette terre avare de beauté.

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