top of page
  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Les Chroniques d'un Auteur Perdu 2010 (Chapitre 14)

Suivre la lecture avec l'Audio :

S’il y a une saison qui fait rayonner Paris, c’est bien Noël… Les vitrines des Grands Magasins, les marrons chauds sur les boulevards, les illuminations sur les champs Elysées.


Paris resplendit quand vient de le temps des fêtes.


Et cette année, la neige s’est immiscée dans ce décor de rêve.


Après nous avoir abandonné quelques jours, la voilà de retour. Beaucoup aurait pu s’en plaindre… Mais l’idée de vivre un Noël blanc semble ravir les parisiens.


Ce matin, je retrouve ma très chère Zahara. Nous devons travailler à l’accueil de la rue bergère jusqu’à midi.


Madame Zeitoun nous a autorisés à quitter notre poste plus tôt pour les fêtes.


Il y a peu de réunions ce matin… Beaucoup de collaborateurs de la banque ont pris leur journée ou sont tout bonnement partis en vacances.


Aux alentours de 10h, Madame Zeitoun fait son entrée dans le grand hall en arborant un immense sourire.

Un sourire prononcé qui ne lui sied guère tant ce n’est pas dans ses habitudes.


Elle dépose, sur notre comptoir, deux ballotins de chocolat d’une maison parisienne très réputée.


« Je me devais de vous offrir ce petit cadeau pour vous remercier du travail de qualité que vous faites ici tous les deux! »


Madame Zeitoun prend même un instant pour venir s’assoir avec nous derrière le comptoir et plaisanter quelques minutes.


De temps à autre, je lance des regards discrets vers Zahara… Nous voilà abasourdis l’un comme l’autre…


Peu après son départ, mon téléphone se met à sonner… C’est ma mère.


Je trouve bizarre qu’elle m’appelle à mon travail… D’autant plus que nous nous voyons le soir pour le réveillon.


Elle a une petite voix…

Une voix qui n’annonce rien de bon…


« Avec ton père… nous… Nous avons invité Charles a réveillonner avec nous ce soir »


« Vous avez fait quoi ??? »


Bien évidement c’est plus un agacement qu’une question…


Bien plus qu’un agacement, je dirais même que c’est une colère…


Non, une rage, pour être exact.


Depuis que j’ai quitté Charles, mes parents n’ont eu de cesse de continuer à le fréquenter… De l’inviter à prendre un café à la maison voir même de partir en week-end avec lui.


J’estime avoir été docile… Très peu de personne aurait accepté ça de leur parents.


J’ai fermé ma gueule et je me suis mis des oeillères…


Pour être plus précis, j’ai fais comme si je ne voyais rien…


Comme si tout cela ne m’atteignais pas.


Je raccroche le téléphone d’un coup sec. Zahara s’étonne de me voir tremblotant…


Je n’arrive pas à croire que mes parents me fassent un coup pareil à la veille de Noël !


Je ressens le besoin d’échapper cette colère que j’accumule. Je me mets à raconter toute mon histoire avec Charles à Zahara.


Notre rencontre, nos jours heureux, nos disputes, notre rupture… Et cette phrase de mon père qui résonne encore dans ma tête…


Cette phrase qu’il avait prononcé pendant que je fermais le dernier carton qui restait dans notre appartement.


« Tu sais Julien, Charles est comme un second fils pour nous et on continuera le voir et à l’aimer que ça te plaise ou non ! »


Je n’ai jamais demandé à mes parents de choisir entre Charles et moi. Je n’ai jamais eu cette bassesse.


J’espérais qu’ils auraient suffisamment de respect et de bon sens pour comprendre que la distance était désormais évidente… Et j’ai eu tort…


« Mais tu devrais taper du poing sur la table ! Dire stop ! »


Je savais bien que Zahara me dirait ça.


Toutes les personnes qui m’ont connu avec Charles où qui ont déjà entendu parler de cet épisode de ma vie ne comprennent pas pourquoi deux ans plus tard j’en suis encore là.


« Je ne peux pas… Je passerai pour le méchant… Pour l’égoïste. Je me dois de vivre avec ça désormais… »


Zahara est étonnée que j’accepte ce fantôme dans ma vie avec autant de résilience.


« Mais un jour ça va finir par te détruire »


« Je sais… »


Que puis-je dire d’autre…


J’espère seulement m’en sortir sans trop de cicatrices…


J’arrive chez mes parents un peu avant 18 heures.


Cette année, mon oncle, ma tante et mes trois cousines sont venus depuis le sud-ouest pour passer Noël avec nous. Je les retrouve avec bonheur.


Dans un recoin du salon, j’aperçois Charles. Il a une petite mine.


Je m’approche pour lui faire la bise. J’essaie de rester courtois… Mais intérieurement je boue encore.


Je n’arrête pas de repenser à ce que Zahara m’a dit… Peut-être a t-elle raison ?…


Il est temps que je tape du poing sur la table.


Je profite d’un aparté avec mon père dans la cuisine pour tenter une rébellion.


« Je peux savoir pourquoi vous l’avez l’invité ?… Et le soir du réveillon en plus ? »


« Ecoute Julien ! Je te rappelle qu’on est chez nous ici ! et Charles est un ami de la famille ! Nous n’avons rien dit quand tu l’as quitté sur un coup de tête…»


« Alors c’est ça ! Pour vous c’était un coup de tête… Une folie »


« Excuse moi de te le faire remarquer, mais on peut pas dire que les décisions que tu aies prises ces derniers temps aient été très intelligentes ! »


Mon père me tourne le dos et continue de préparer les toasts tandis que ma mère silencieuse à côté nettoie les coupes de champagne.


Un long silence s’installe dans la cuisine… Un malaise qui me rappelle que cette rupture n’est pas une cicatrice qui m’est propre…


C’est une blessure que j’ai infligé à toute la famille.


Mon père se met à m’expliquer pourquoi ils ont invité Charles à la dernière minutes.


Il y a quelques jours, le pauvre garçon s’est fait larguer par son nouveau petit-ami.

Il devait le présenter à ses parents…


Son premier copain depuis notre rupture douloureuse… et ce garçon l’a abandonné sur le quai d’une gare… Sans que Charles l’ai vu venir.


Après les explications de mon père, je me sens ridicule de m’être autant emporté… Et malgré le peu d’affection que j’ai pour Charles, jamais je ne l’aurai laissé fêter Noël seul dans un moment pareil.


Je ravale ma fierté et décide de faire un énième effort.


Le tour de table a été imaginé de tel sorte que je me retrouve à côté de Charles bien-sûr…


Comme au bon vieux temps.


Ce temps où nous nous embrassions sous le guis et où nos mains s’entremêlaient discrètement sous la table entre deux plats.


Aujourd’hui nous sommes distant… La pudeur ne se cache plus sous la nappe, elle se lit sur nos visages.


Pour tenter de garder ma bonté, j’enchaîne les coupes de champagne…


Je m’enivre…


J’interroge Charles sur cette rupture qu’il vient de vivre… Je lui pose des questions avec tact et sans jugement.


Je sens qu’il a besoin de parler… Alors je l’écoute.


« Je n’ai pas trop compris… Il me l'a annoncé, comme ça, sans que je m’y attende, il m’a dit que je l’étouffais, que je ne pensais qu’à moi et que je ne m’intéressais pas à ses passions… »


« Bah ouais… ça m’étonne pas ! »


Cette phrase s’échappe maladroitement de ma bouche et jette un lourd silence…


En vérité ce n’est pas moi qui ai parlé : c’est le champagne !


Charles, vexé, quitte la table et sort dans le jardin…


Tous les regards sont braqués vers moi…


Je me sens un peu obligé d’aller le rejoindre dehors pour m’excuser.


Je le retrouve assis sur le banc de l’entrée.

Je ne sais pas trop quoi dire.

Je lance un maladroit « pardonne-moi »


Mais cela semble bien dérisoire pour remonter le moral de ce garçon que j’ai tant aimé.


Charles se retourne et me demande :


« Tu ne m’a jamais dis pourquoi tu m’a quitté ! J’aimerais que tu m’expliques… »


Que pourrais-je bien lui dire ?…


Lui dire que j’ai mis fin à notre relation pour les mêmes raisons que son dernier copain…


Lui dire qu’il m’étouffait ? qu’il dénigrait sans cesse mes passions ? Qu’il était égocentrique et prétentieux ?…


Lui dire tout ça ne l’aiderait surement pas…


Je ne lui ferai jamais de mal inutilement.


Nous avons tout de même passé un bout de vie côte à côte… Et cela mérite bien du respect.


« Je t’ai quitté parce que je veux me consacrer à l’écriture… »


« Oui mais quand tu auras finis d’écrire ?… Tu aimeras de nouveau quelqu’un n’est ce pas ?… »


Cette phrase de Charles est assez révélatrice du pont qui nous sépare aujourd’hui…

Charles ne comprendra jamais mon besoin de créer et de raconter. Ce n’est pas une lubie ou un passe temps qui finira par s’estomper un jour…


« Je n’arrêterai jamais d’écrire, Charles… Je suis comme ça… J’aurai toujours une histoire à raconter… »


Nous regardons la neige qui tombe lentement…


Les gens sont à la fête et les rues sont calmes.


Charles reste silencieux. Je décide de ne pas retourner tout de suite à l’intérieur… Je m’assois près de lui.


J’essaie de chasser la pudeur et les rancoeurs…


Comme autrefois je noue ma main à la sienne pour adoucir ce Noël maladroit… pour m’excuser des cicatrices que j’ai laissé…


Je passe la nuit chez mes parents… Ce soir, je dors à nouveau dans ma chambre d’enfant.


J’y retrouve mes vieux jouets, mes carnets secrets… Sur ma table de chevet, il y a encore une photo de Charles et moi…


Comme si dans cette pièce le temps c’était figé à la fin des jours heureux…


Je pensais que j’écrirai une chronique sur Noël…


Mais les mots qui se déversent sur mon blog abordent un thème moins naïf…


Moins rêveur que la douceur des fêtes…


Chronique n°14

« L’écrivain observe, entend, écoute, enregistre. Puis il raconte une histoire, mêlant son imagination à son expérience. Elle porte nécessairement les cicatrices de son âme »

John Le Carré


Il y a différents types de cicatrices. Tout au long de notre vie, nous tentons de soigner nos blessures et d’éviter les prochaines. Mais dans la réalité des choses, l’être humain n’est riche que de ses cicatrices… D’épreuves traversées, d’espoirs inachevés.


Quels êtres serions-nous sans les marques indélébiles de notre passé ? Serions-nous des êtres à part entière sans ces enrichissantes ecchymoses ?


Je me souviens de ma première cicatrice… C’était un après midi, un peu avant Noël… En ce temps là j’avais à peine cinq ans. Une plaisanterie enfantine se jouant sur le banc d’une cour d’école, m’amena à tomber à la renverse et me briser le bras.


Je me rappelle de ce docteur qui nous avait promis, à Papa Nounours et moi-même, que cette cicatrice disparaîtrait avec les années. Pourtant, vingt ans plus tard, mon bras droit, qui accompagne habilement mes pensées sur le papier, porte toujours cette marque maladroite et peu esthétique.


Depuis ce temps là, j’ai cessé d'attendre que les cicatrices disparaissent. Devenons-nous des adultes dès que nous quittons la scolarité ? Ou devenons nous des grandes personnes uniquement lorsque les cicatrices deviennent plus lourdes à porter qu’un simple sac d'école ?


Nous avons tous, en nous, un cimetière de plaies dans lequel nous aimons, lorsque que le temps est maussade, nous recueillir un instant. Que cherchons-nous au milieu de ces ruines ? Les peines de coeur, les échecs, les deuils, les rêves piétinés. Pourquoi revenons-nous toujours dans ce jardin secret desséché par le temps ?


Tout simplement parce que l'âme est une cicatrice… Elle est la cassure, l’entorse, le froissement de notre être. C’est sur ces terres arides d’espoirs que nos âmes puisent la force de nous faire avancer. Il ne faut pas avoir peur de se perdre dans un désert de cicatrices. Il ne tient qu’à nous d’en choisir la lecture…

5 vues0 commentaire

Comments


bottom of page