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  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Les Chroniques d'un Auteur Perdu 2010 (Chapitre 5)

Dernière mise à jour : 15 janv. 2021


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Natalia Da Silva veut s’entretenir avec moi pour faire le point sur ma place dans la boutique Manoli.


Je crains le pire.


Il n’est pas impossible que ce soir je me retrouve sans emploi.


De bon matin, comme convenu, je me rends à ce rendez-vous dans un Starbucks Coffee non loin de la boutique.


Natalia commande son latte macchiato et sa viennoiserie avec un calme olympien.


Elle reste joviale et me propose même de m’offrir une boisson chaude ou un muffin…


Mais, dans la situation actuelle, mon estomac est peu gourmand. Je me contente d’un simple verre d’eau. Nous nous installons en terrasse.


Le ton de Natalia change brutalement.

Elle n’y va pas par quatre chemin. Elle décortique mes chiffres de ventes (très médiocres), mon approche client (déplorable) et mon manque d’implication dans l’univers de la mode.


« Aimez-vous vraiment la mode ? »


Que répondre à cette question ? Bien évidemment que non… Je fais ce job pour payer mon 20m2.


Je ne vais tout de même pas lui dire que la seule chose qui m’anime dans la vie c’est l’écriture !


« Je ne sais pas si vous réalisez Julien… Mais vous êtes en sursis dans cette équipe ! Je ne vais pas pouvoir garder un aussi mauvais vendeur ! Affirmez vous !»


Natalia m’explique longuement ce qu’elle attend de moi et de mes ventes… Tantôt avec douceur, tantôt avec fermeté et sur un ton assassin…


Quelques passant me lancent un regard désolé, comprenant que je vis une humiliation publique grossièrement déguisée en pause café.


Après avoir promis à Natalia que j’allais faire des progrès dans les jours à venir, je retourne à la boutique.


Lorsque la première cliente entre, je prends les devants et lui saute dessus pour conclure une vraie vente.


Je vais montrer à Natalia que moi aussi je peux être un requin de la mode !


Cette dame est sympathique.


Je l’aide dans ses achats avec plus de conviction et d’assurance.


J’engage la conversation pour mettre la cliente à son aise.


Elle me parle de son métier de voyante et de magnétiseuse.


Je l’écoute d’une oreille mais ce qui m’importe surtout, c’est qu’elle passe à la caisse pour sauver ma carrière.


Natalia nous observe dans un coin du magasin.


Je jette un regard discret dans sa direction de temps à autre… Elle paraît assez surprise de mon aisance soudaine.


Je m’amuse à flatter la cliente.


Je lui fait essayer, une robe, puis deux… Je lui propose des chaussures, un accessoire, un bijou… Tout ce qu’il faut pour conclure une vente royale…


Une vente qui me fera grimper dans ce maudit tableau !


Je continue d’alimenter la conversation… Sous mes airs de garçon passionné, je fais en sorte de garder l’ascendance sur ma victime aveuglée par son amour des fringues.


Je lui demande avec malice de me faire une petite séance improvisée de voyance dans la boutique, entre deux essayages.


En prenant simplement ma main, la cliente commence à lire en moi.


Alors que notre échange était jusqu’ici léger et amusant, elle prend un air grave et solennel…

Je perds mon emprise… Je perds mon bagout.


La cliente semble déjà se douter que ce qu’elle a lu dans ma main va m’anéantir.


« Vous n’êtes pas à votre place ici jeune homme, vous délaissez Ivan »


Cette annonce me glace le sang.


La cliente assiste à ma décomposition.


Je deviens blême… Je n’arrive plus à parler… Mon charme de vendeur s’est égaré…


Sans plus attendre, je pars me réfugier dans le stock pour reprendre mes esprits.


Natalia qui scrute toujours mes faits et gestes du fond de la boutique, ne comprends pas ce qu’il se passe…


Elle envoie illico une vendeuse reprendre ma vente avant que la cliente ne déserte le magasin…


Je délaisse trop Ivan, c’est vrai…


Ce héros que j’ai crée à mon image pour être au coeur du Royaume de Faery…


Pourquoi dois-je toujours étouffer ma passion pour l’écriture ? Pourquoi ai-je l’étrange impression que je n’arriverai jamais à bout de ce roman ?


Je me suis enfermé dans les toilettes… J’essaie de reprendre mes esprits…


Je calme mon coeur qui s’emballe. Je respire avec contrôle pour éviter de pleurer.


Une nouvelle vente me file entre les doigts.


Lorsque je sors des toilettes, je constate que Natalia m’attends dans le stock, stratégiquement postée devant la porte qui amène sur la surface de vente.


« Je peux savoir ce qui tourne pas rond chez vous ? Il y a un gros problème visiblement !… Ecoutez, je ne veux plus vous voir dans ce magasin… Je vous laisse une dernière chance ! je vous transfert dans un corner Manoli du Printemps Haussmann… »


Natalia me signifie que cela marque mon ultime chance de faire mes preuves.


En rentrant chez moi, je ne peux effacer la vision révélatrice de cette cliente… Cette déclaration troublante et véridique.


Et si je faisais vraiment fausse route ?


Et si ce je n’étais pas sur ce chemin qui offre la place nécessaire à l’écriture ?


Natalia m’impose des jours de congés pour me ressaisir…


J’en profite pour sauter dans un TGV, retrouver mon Pays Basque et ma famille pour quelques jours…


Chronique n°5

Ce qui m’a permis d’avoir une aussi grande liberté de penser, de découvrir, de partager et d’apprendre… Ce sont mes racines. Il m’apparaît évident que nos racines sont le phare… La lueur, la promesse que notre route n’est pas vaine.

Les années passent et filent… Les générations se côtoient, se séparent… disparaissent puis s’oublient. Personne ne laisse une trace sur cette terre, juste un claquement de porte brutale derrière soi… Des souvenirs sans âmes… Définitivement incompris pour ceux qui sont restés.

J’ai beaucoup médité sur mes racines ces dernières années… Pourquoi suis-je ce que je suis. Pourquoi et par quel hasard je me retrouve ici, à ce moment donné… Et si les souches de ma vie en détenaient les réponses ?

Tradition faite depuis mon enfance, l’été est l’occasion de rejoindre le pays de mes racines et d’oublier Paris. Une visite chez Papi et Mamie dans leur maison près de Capbreton. Je me souviens encore de ce sentiment qui m’habitait quand j’étais gamin… Les cinq heures de train de Paris jusqu’à Dax, un regard par la fenêtre, un défilé de paysages, de villages qui ne m’inspiraient qu’ennuie et lassitude.

Puis, une fois Bordeaux derrière nous, la douce apparition des forêts de pins, annonçant l’arrivée au pays. Je me souviens de cette quiétude qui m’envahissait en découvrant ces colonnes végétales à perte de vue. C’était comme si, tout en lorgnant ce décor familier et rassurant, je pouvais déjà imaginer Mamie nous attendant à la gare, impatiente… L’odeur, déjà accessible, d’un bon repas dormant dans le four. Le chant calme et espiègle des tourterelles et le bruit vif et indomptable des vagues.

En grandissant, ce sentiment que je croyais éphémère, ne s’est pas dissipé… preuve en est que mes racines s’entrecroisent dans les Landes.

Avec l’âge, j’ai cherché à comprendre et apprivoiser cette sensation que je croyais si personnelle.

Ma mère… Mon père… Mes grands-parents ont-ils eux aussi, par le passé, ressenti cette force, ce goût d’appartenance à une terre ?

Comprendre ce sentiment ensemble, nous permettrait surement de remonter encore un peu plus le sentier de nos racines.

Cette dernière visite au pays fut l’occasion de partager avec ma grand-mère.

Je m’intéresse depuis longtemps à la vie, la jeunesse et le parcours de mes arrières grands-parents. Mais je n’osais pas trop demander à ce qu’on me raconte leur histoire.

J’entendais si souvent ma grand-mère et ma mère parler d’eux… J’étais friand de ces anecdotes étant petit… Il me semblait qu’elles m’appartiendraient toujours. Seulement, la vie est ainsi faite… Un jour viendra où ma Grand-mère ne sera plus là pour me confier ces bribes d’histoires tout en rigolant.

J’ai donc décidé, cet été, d’inscrire avec attention tout ce que Mamie pourrait m’apprendre de ses parents que j’ai toujours nommé Aitatxi et Amatxi (Traduction : Grand Père et Grand-mère en langue Basque).

Ma grand-mère n’est pas landaise. Son l’enfance, elle l’a passé au Pays Basque, non loin de Saint Jean de Luz. Elle a grandi dans une modeste ferme. J’adore le Pays Basque, il n’y a pas de terre plus généreuse et calme. C’est toujours une réelle source d’inspiration pour moi que de partir sur les routes d'Espelette, de Dancharia ou de Sare. Bien au-delà de mon appétit artistique, le Pays Basque est, aussi, un régal pour les babines… Une cuisine que je rêverais emporter partout avec moi !

En griffonnant sur un cahier, attentif aux moindres détails que ma grand-mère partage à propos d’Aitatxi et d’Amatxi, je pars pour un long voyage sur un sentier familier mais pourtant jusque-là inconnu. Ces vies sont empreintes de lyrisme, presque romanesques. J’oublie la véracité des faits, m’imaginant Mamie lire simplement un Roman d’Hugo ou de Zola, tel Les Misérables ou Germinal.

Pourtant, les confidences qui se jouent, cette nuit, dans l’intimité du salon, ne parlent pas d’un passé inaccessible. Mais d’une page de nos vies tout juste tournée...

Celle d’un arrière grand père abandonné à l’assistance publique de Paris, de son long voyage avec son frère jusqu’au Pays Basque où il trouva une famille d’accueil mais aussi une appartenance, une place.

Celle d’une arrière-grand-mère, fille ainée de paysans, placée dès son plus jeune âge en tant que demoiselle de maison chez un écrivain anglais, riche propriétaire de Saint Jean de Luz. Son histoire d'amour interdite avec mon arrière grand-père et une Guerre mondiale qui les a séparé plusieurs années.

Comment expliquer que je retrouve curieusement dans leurs vies, une part de mes racines… Que j’y décèle les parfums de Paris et les délices de l’écriture.


En dévorant ces vies, à la fois si humbles et tant miséreuses, j’imagine, je sens les odeurs des sentiers qu’Aitatxi suivait à toute allure sur sa vieille bicyclette.

Les brises légères des bords de mers où Amatxi aimait méditer. J’entends l’orchestre des fêtes basques sur la place de Saint Jean, je vois les gens danser le Fandango…

J’ai la sensation qu’ils ne sont jamais partis loin de nous. Nous avons juste cessé de les voir…

Plus tard, dans les confidences, nous évoquons la mère d’Amatxi qui n’est pas né au pays. Elle a grandi en Argentine et est arrivée en France au début du XXe siècle.


Dernière étape sur le long courant de mes racines. C’est donc là-bas que mon voyage se termine et que tout commence. Comme j’aimerai, un jour, remonter les rues de Buenos-Aires avec la force de mon histoire.


Les rues de cette ville… d’où part mon grand voyage... Comme une valse qui redescend les boulevards bruyants de Paris.


Je ne doute pas qu'un jour, je poserai ces histoires sur le papier. Je rendrai hommage à mon Pays et à ceux qui ont guidé mon chemin bien avant qu’il ne se dessine…

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