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  • Photo du rédacteurJulien Gaüzère Auteur

Ma grand-mère (Chronique n°180)



19 Mars 2019,

L'amour que l'on se porte avec ma grand-mère est assez indescriptible et bien peu commun. Nous sommes deux êtres qui se confient très peu et restent bien mystérieux. J'ai essayé de poser des mots sur notre histoire... Sur cette relation qui nous lie. Alors que j'ai vécu chez elle pendant plusieurs mois, il est temps de rassembler les affaires et de préparer mon retour au Québec... Comment vais-je lui annoncer ce départ ?...



Ma grand mère


S'il y a bien un héritage précieux que ma grand-mère a posé dans mes mains : c'est son amour pour les vallées, pour les routes sinueuses et les maisons agrippées sur les montagnes.


Ma grand-mère est bavarde mais elle reste bien mystérieuse.

Ma grand-mère est avare mais parfois elle est bien généreuse.

Ma grand-mère est geignarde mais souvent elle est heureuse.

Elle est pleine de contractions, peine d'inattendues... à l'image des paysages que l'on scrute par la fenêtre.


J'ai toujours été entouré de femmes de caractère. Dans ma famille, les femmes sont des meneuses. Ce sont-elles qui donnent le rythme et qui guident les destins. Il en est de même chez beaucoup de Basques et de Landais. Et... ô grand-dieu, nous avons ces deux coins de France en héritage.


J'ai toujours vu mon grand-père courir derrière ma grand-mère, mon père courir derrière ma mère, mon oncle courir derrière ma tante... Et par un subterfuge (visiblement ancestral), elles leurs laissaient croire qu'ils étaient les piliers de nos maisons... Très certainement de la même manière que les femmes du pays d'autrefois laissaient partir les marins sans crainte vers Terre Neuve. Elles qui furent accusées par le Roi d'être des Sorcières.


Les femmes de ma famille sont-elles des Sorcières ? Ça je l'ignore, mais je peux vous dire que ce sont de grandes magiciennes.

Depuis mon retour du Québec, ma grand-mère m'a habilement gardé auprès d'elle. Elle m'a envouté assurément. Je mentirai si je vous disais que je ne l'ai pas senti venir... Dans cette maison, auprès d'elle, je suis venu chercher quelques réponses et quelques envoutements.

Aujourd'hui, ma grand-mère est un peu moins magicienne. Elle a perdu l'homme sur lequel elle lançait tous ses charmes. Ses amis se sont rares, les voyages deviennent difficiles, les saisons plus rudes et les souvenirs plus lourds.


Ma grand-mère a souvent été stricte, froide, dur... Même méchante avec l'enfant de j'étais... Et pourtant, tous les souvenirs que nous évoquons chaque soir ensemble sont beaux, doux et bienveillant. Comme la rivière, ma grand-mère sait être calme, accueillante ou féroce et ravageuse. Désormais l'eau se tarie... La rivière est devenue un ruisseau qui s'épuise. Un ruisseau auquel je pardonne toutes les sécheresses.


Je sais que ma grand-mère m'aime profondément et pourtant je suis un étranger dont-elle connait bien peu de choses. Elle a cette particularité qui (je pense) n'est pas caractéristique d'une grand-mère, ni même d'une mère : elle ne s'intéresse pas aux autres et surtout pas à nous.


Elle ne connaît pas mes voyages, mes deuils, mes projets, ma vision du monde... Ou même mes livres. Quand j'entre dans la vieille maison, je ne suis là que pour une chose : écouter ma grand-mère parler de ma grand-mère.


C'est sans doute pour cela qu'aujourd'hui elle est si seule... Seule avec la comtoise et la télévision. Je lui en ai souvent voulu, de cette indifférence, de ce non-intérêt qu'elle ne dissimulait même pas. Puis j'ai appris à l'écouter, à me faufiler dans ses souvenirs pour y avoir une place. Elle m'a donné en héritage l'amour des vallées, des routes sinueuses et des maisons agrippées aux montagnes... En retour j'ai voulu lui faire découvrir que l'on s'aime encore plus en écoutant.


J'aime profondément ma grand-mère et malgré le fait que le monde tourne autour d'elle, elle reste mon plus grand mystère. Une île sur laquelle je ne parviendrai jamais à accoster. Je crois la connaitre en l'observant dans la longue-vue... Pourtant je comprendrais bien plus de choses si je pouvais poser les pieds sur ses grains de sable. Je continue de prendre en héritage ses histoires et ses souvenirs... Je suis bien l'un des seuls qui ne se lasse pas de l'écouter.


Depuis quelques mois, ma grand-mère est heureuse, j'ai chassé la solitude qui avait tissé sa toile sur les murs. J'ai apporté avec les moi les tisanes, les confidences et les promenades dans la vallée. Je l'ai laissé m'envouter. J'en avais besoin sans doute... Mais, aujourd'hui, c'est à mon tour de jouer les égoïstes...


Comment lui dire que je vais partir ?

Comment lui dire que je vais la priver d'un de ses plus grands plaisirs ?...

Raconter...

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